C’est toujours l’été, écrasant,
dominant de sa lenteur agressive les actes et les corps qui y sont reliés.
C’est toujours la ville, son corps gris et multiple, sa carcasse qui rouille et
qui grince, grande léthargique avec un ballet automatique épileptique où les
terrains vagues sont rares et détestés, où le moindre espace est rempli par pur
confort et peur du vide. C’est le
cadeau empoisonné de la fausse agitation, les jours qui roulent la machine
entêtée de l’habitude l’inconscience de soi, la rigidité du possible.
// Plan rapproché //
Dans tout cela il y a ces quelques
personnes assises et allongées près du saule pleureur sur les quais, ils
regardent l’eau verte sans voir le mouvement produit par le courant et parfois
une phrase s’élève sans qu’elle soit nécessaire, juste là pour trancher de
temps en temps le silence qui se dissout dans le bruit des voitures et du vent.
Il faut surtout parler des corps, grands, presque absurdes, des omoplates
saillantes et des mâchoires serrées, des mains à plat sur les cuisses nues ou
posées sur le sol avec la trace des gravillons imprimés dans la paume tendre.
Il faut parler de toutes ces
paires d’yeux déjà trop mélancoliques, de l’électricité et de la colère face au
danger que représente la fin de l’été pour eux. Il faudra sortir de
l’apesanteur, de la léthargie, de la paresse. Ils devront se mettre à marcher,
à regarder les pendules et la contemplation ne sera plus possible. C’est comme
s’ils avaient la mer devant eux, et il n’y a rien de plus insupportable que de
savoir que ce regard là sera le dernier vers elle avant longtemps. Pourquoi
devraient-ils s’arrêter de regarder le fleuve tant que celui-ci continue de
couler, pourquoi est-il nécessaire de se relever et de quitter la rive tant que
leurs corps sont réchauffés par le soleil ? Ils sont quatre ou cinq, on ne
sait pas distinctement leur âge, où est-ce qu’ils habitent ou ce qu’ils font de
leur journée. Ils sont ensembles. Des fois ils écoutent de la musique grâce à
une radio que l’une des filles amène. C’est souvent les mêmes chansons mais ce
n’est pas grave. Ca coule comme le fleuve et comme leurs yeux sur les choses,
ça glisse sur la surface sans jamais se poser, c’est éternel les mélodies comme
les étés, la jeunesse comme le fleuve. Pourtant c’est bientôt fini, ils sentent
l’irrémédiable qui vient détacher leurs corps soudés dans la paresse et l’insouciance,
dans l’urgence alanguie lovée dans leurs plexus et qui se déroule gracieusement
dans chacun de leurs gestes jusqu’à ce que le crépuscule les livre à la
frénésie assourdissante d’une fête quelconque et qu’ils abandonnent jusqu’au
lendemain leur refuge amarré.